Réunion mensuelle du 11 décembre 2014
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Cette dernière réunion de 2014 avait lieu à la Maison des Associations ……
C’est dans une salle magnifiquement décorée par la Commission « Salles et Matériel » que 92 de nos adhérents se sont retrouvés jeudi 11 décembre pour écouter Gérald DUROUX, Médecin et grand admirateur de Georges BRASSEN, nous raconter un peu de la vie de cet artiste , de ses débuts au statut de vedette ……
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L’Exposé de Gérard DUROUX
De ses débuts au statut de vedette
Quand il arrive à Saint-Gely-du-Fesc le 12 octobre 1981, Georges Brassens se doute-t-il qu’il ne lui reste que quelques jours à vivre ?
Soixante ans plus tôt, le 22 octobre 1921, Georges naît, au 54, de la rue qui porte maintenant son nom et qui alors s’appelait rue de l’Hospice.
Son père, Jean-Louis Brassens, a 40 ans, sa mère, Elvira, en a 34. Lui, est issu d’une famille de Castelnaudary ; elle, est née de parents italiens immigrés en France et installés à Sète (« Cette » comme on la nomme alors).
Le couple Brassens vit modestement. Louis Brassens est un petit artisan maçon. Sa mère, mariée une première fois avec Adolphe Compte, a eu une fille Simone, de huit ans l’aînée de Georges. En 1915, Adolphe Compte est tué à la guerre et c’est en 1917 qu’Elvira épouse Louis. Simone, la grande sœur s’occupe beaucoup du petit Georges. Elle l’accompagne à Saint-Vincent, institution religieuse où il fait ses premiers pas dans la scolarité.
Plus tard, elle lui fait écouter ses disques et lui apprend des chansons comme « Avoir un bon copain », « C’est un mauvais garçon >>, « Tout va très bien Madame la marquise ». Tous ces airs sont repris en cœur par les parents et les enfants.
Georges Brassens : «Je n’ai aucune lassitude pour la chanson. Je suis né dedans… A 5 ans, je connaissais 200 chansons. Tout ce qu’il y a eu dans ma vie a moins d’importance que ce qui s’est passé dans mes émotions musicales… J’écoutais tout le monde et j’étais très éclectique, aussi bien Tino Rossi que Ray Ventura, Mireille et Jean Nohain, Misraki, Jean Tranchant et plus tard Charles Trenet et johnny Hess ».
Et puis, dans les rues de Sète, sur les quais du canal, sur la place de l’Esplanade, passent les chanteurs qui distribuent les petits formats alors que des fenêtres entrouvertes s’échappent les refrains émis par Radio
Toulouse. De nos jours, les parents rejettent les rythmes barbares qui séduisent leurs enfants alors que ceux-ci ironisent sur les chansons ringardes de leurs parents. A cette époque, les chansons sont communes aux différentes générations qui vivent sous un même toit. Et dans les années 20, le Général Bougnette (C’est le surnom de son père) et Elvira chantent les refrains populaires avec Simone et Georges.
Ensuite, Georges entre au collège de Sète (aujourd’hui Lycée Paul-Valéry) . Il s’y fait des amis qui accompagnent ses années de collège : Emile Miramont, Henri Delpont, déjà passionné de cinéma, Désiré Scopel.
S’y ajoutent Louis Bestiou, Henri Colpi et Victor Laville, amateur de dessin. Ils sont les copains d’adolescence avec lesquels il parodie sur des airs à la mode les professeurs ou les copains de classe.
Il y a aussi deux personnages Sétois qui croisent alors la vie de Georges Brassens : Honoré Gévaudan, un peu plus âgé que Georges, fera son chemin comme commissaire de police, et Maurice Clavel, élève brillant qui obtient son bac à quinze ans.
Georges Brassens et ses copains pensent eux, surtout à la plage, aux filles et à rigoler et rêver.
Si Delpont rêve de cinéma, Laville de dessin, Georges Brassens se passionne surtout pour la musique.
Quelle est la musique des années 30 qui va marquer la formation musicale de Georges Brassens ?
Il y a surtout Ray Ventura (« Ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine » et « Tout va très bien Madame la marquise ») qui lance avec ses collégiens la mode du swing venu d’Outre-Atlantique. Il y a aussi Tino Rossi qui connaît de grands succès en interprétant les mélodies de Vincent Scotto (« Marinella », « Tchi-Tchi », « O Corse, île d’amour »).
Scotto compose également des succès pour d’autres vedettes de l’époque : Chevalier, Mayol, Joséphine Baker, Lucienne Boyer. Ce sont : « Le plus beau tango du monde », « La java bleue », « Sous les ponts de Paris » qui date de 1913, « La petite tonkinoise », « Elle vendait des petits gâteaux »…
Il y a aussi Mireille et Jean Nohain, Pills et Tabet ( « Couchés dans le foin », « Le petit chemin », « Parlez-moi d’amour »).
Georges Brassens découvre enfin Charles Trénet dès 1933, en duo avec Johnny Hess, puis en solo : «Je chante », « Y’a d’ia joie », « Boum ». Tous ces titres le conduisent au succès en 1938. Trénet rejoint ainsi Ventura et Scotto dans le Panthéon de Georges Brassens qui continue à acheter les petits formats, à apprendre les chansons, et commence à rimailler lui-même. Ce mélange peut paraître hétéroclite, mais c’est de cette culture musicale que naîtront toutes les facettes des compositions ultérieures de Georges Brassens : de Ray Ventura, il attrape le virus du swing ; chez Scotto, qui jouait de la guitare, il prend le goût des mélodies populaires qui accrochent l’oreille ; de Charles Trénet, il prend le goût du ton poétique.
Le véritable amour de la poésie, Georges le découvre cependant avec son professeur de lettres, Alphonse Bonnafé qui, passionné de poésie, fait partager à ses élèves ses passions pour Baudelaire, Villon, Valéry, Verlaine, Mallarmé.
Georges Brassens : « On était des brutes à 14 et 15 ans et on s’est mis à aimer ces poètes. ..Jen ‘aimais que les chansons et même je commençais à écrire des petites fadaises, et puis, grâce à ce prof, je me suis ouvert à quelque chose de grand. »
En dehors de son goût pour la poésie, Georges Brassens n’est pas passionné par le lycée. D’ailleurs, il ne dépassera pas la classe de troisième : ses études ne sont guère couronnées de succès et il brille surtout en gymnastique…
Grâce à un banjo que lui offre un cousin de Simone, il essaie maladroitement de composer quelques chansons. Avec les copains il continue à marquer le tempo avec les mains, alternant la frappe de la paume et du bout des doigts, comme il l’a lui-même expliqué. Ensemble, ils créent un petit orchestre avec Miramont (trompette) et Delpont (chant), Georges jouant lui-même du banjo.
A côté de ses activités scolaires et artistiques, Georges Brassens va se livrer aussi à quelques activités moins orthodoxes avec trois autres camarades : quelques chapardages – on parle de cambriolage – leur valent une convocation chez le principal du collège. L’affaire ira même, après que plainte soit portée, devant le tribunal de Montpellier où Georges Brassens est condamné à quinze jours de prison avec sursis. De cet épisode, il gardera le souvenir du soir de Mai où son père vient le chercher au commissariat de police, sans un mot de reproche. La scène sera racontée dans « Les quatre bacheliers » :
Dans le silence on l’entendit,
sans vergogne
qui lui disait bonjour Petit,
bonjour Petit
on le vit, on le croirait pas,
sans vergogne
lui tendre sa blague à tabac,
blague à tabac.
Mais le retour à la maison provoque la honte dans la famille ; l’été qui suit, Georges Brassens reste loin des copains. En octobre, pas de retour au lycée et ses parents décident de l’éloigner et de l’envoyer à Paris. Les copains qui rêvent de réussir, Delpont au cinéma, Laville dans le dessin, le quittent avec l’espoir de le rejoindre bientôt dans la capitale.
Ainsi s’achève la période d’adolescence passée à Sète qui voit naître dans la même époque de nombreux talents. Après Paul Valéry, après Jean Vilard, ils seront plusieurs de sa génération à connaître la notoriété. Nous avons parlé de Maurice Clavel qui rafle tous les prix et Honoré Gévaudan qui sera le tombeur de Mesrine. Il y a aussi Pierre Jean Vaillard qui sera chansonnier et fantaisiste ; Henri Colpit qui réalisera au cinéma «Une aussi longue absence » et « Heureux qui comme Ulysse » (dont Georges Brassens interprétera la chanson générique), Raymond Castans qui réussira dans le journalisme à Paris Match. Mais tous sont pour l’instant de parfaits inconnus….
En février 1940, Georges Brassens s’installe donc au 173, de la rue d’Alésia chez la tante Antoinette, la sœur de sa mère Elvira. C’est la première rencontre avec le piano droit qu’elle possède. Cette rencontre est capitale. Georges Brassens se fait les doigts sur cet instrument et prend le goût des accords. N’oublions pas que c’est au piano, et plus tard, sur un clavier électronique, qu’il composera la plupart de ses musiques.
Pour gagner sa croûte, il trouve d’abord une place d’apprenti relieur puis devient tourneur chez Renault. Son copain Bestiou, monté à Paris, s’y fait également embaucher. Mais cette vie ouvrière, qui ne les enchante guère, va être de courte durée car la guerre qui a éclaté tourne mal. L’usine de Billancourt est bombardée en juin 1940 et la victoire des allemands ne tarde pas.
Après un bref retour à Sète, il remonte à Paris mais ne reprend aucun travail. Il écrit. De cette époque, date « A la venvole » petit recueil de poèmes qu’il fera publier un peu plus tard à compte d’auteur.
Dans ce quartier du quatorzième arrondissement, Georges Brassens se familiarise avec le Paris populaire : il fréquente les pauvres gens et les quartiers déshérités. Ceci le distingue des autres auteurs que le succès rapide va entraîner dans la bonne société de la vie parisienne (c’est le cas pour Charles Trénet et Léo Ferré en particulier).
Georges Brassens se met également à lire avec boulimie et il ne cesse de faire ses gammes en écrivant des poèmes.
En juillet 1942, un été passé à Sète va lui permettre de récolter la petite somme nécessaire à la publication de « A la venvole », courte plaquette de 32 pages dont les qualités poétiques ne sont guère évidentes. Georges Brassens profite de son séjour dans le midi pour aller voir son idole Charles Trénet qui passe en vedette à Montpellier. Georges Brassens essaie de voir Trénet après le spectacle, il a une trentaine de textes à lui proposer mais Trénet ne veut voir personne et la rencontre entre le jeune Brassens encore inconnu et l’artiste déjà célèbre qu’est Charles Trénet n’aura pas lieu.
Georges regagne Paris et va rencontrer alors une femme qui marque sa vie, Jeanne Le Bonniec, installée avant la première guerre dans le quatorzième arrondissement pour chercher du travail comme couturière. Elle sera la Jeanne de ses futures chansons.
Mais cette première rencontre sera brève puisqu’en février 1943 le service du travail obligatoire (STO) créé par Vichy entraîne Georges Brassens vers les camps allemands avec les 170 000 jeunes des classes 20, 21, et 22.
Il y a là René Iskin dont nous reparlerons et qui remarque « ce grand gars, en pardessus bleu marine et qui n’était pas comme nous. »
Après le travail à l’usine BMW, la vie s’organise dans le camp. Le soir, on chante dans les chambrées des chansons françaises. Georges Brassens et René Iskin se distinguent car ils connaissent tous deux de nombreuses chansons à succès.
Dans un café de la ville, il y a un piano où Georges plaque quelques accords et chantonne Trénet.
Iskin découvre aussi un vieux piano dans la salle de spectacle du camp où l’on prépare une vague pièce de théâtre.
Désormais, chaque soir, les deux amis vont jouer et chanter ensemble. Un soir Brassens plaque quelques accords que René ne connaît pas. Il lui demande : « de qui est ce ? » Et Georges répond : « C’est de moi ! » Et Brassens glisse quelques couplets de sa composition. Il y a déjà « Pauvre Martin », « Papa, Maman » et quelques ébauches musicales qui seront reprises plus tard comme « Brave Margot », « Bonhomme ». . -
Georges Brassens fait ses débuts sur scène en août 1943… comme pianiste accompagnateur dans une revue organisée par André Larue, un autre copain du camp.
En dehors de ces rares prestations, Georges Brassens consacre la plupart de son temps à la lecture. De cette époque, date la rencontre avec Pierre Onteniente, qui travaillait, avant la guerre, aux impôts à Paris. Dans le camp de Basdorf, il se retrouve chargé de l’organisation de la bibliothèque. Il ne peut manquer de repérer cet olibrius chevelu qui, chaque jour, et parfois plusieurs fois par jour, vient chercher ses livres, lisant tôt le matin avant d’aller au travail et tard le soir.
Ainsi se constitue la bande de copains de Basdorf avec René Iskin, Maurice Remiot, Pierre Onteniente et André Larue. Cette vie durera un an jusqu’au début de l’année 1944. Quand il quitte Basdorf pour Paris à l’occasion d’une permission, Georges Brassens a déjà quelques dizaines de chansons à son actif. Certaines resteront sans suite, d’autres ressortiront inchangées ou presque dans les premiers disques. Nous avons parlé de « Pauvre Martin » « Maman, Papa ». Il y a aussi des musiques qui donneront « Le mauvais sujet repenti », « Brave Margot », « Les croquants », « Le gorille ». Les paroles de ces premières versions seront réécrites. Georges Brassens possède déjà un vivier de textes et de musiques qu’il travaille pendant plusieurs mois. Il aura toujours cette avance d’une bonne vingtaine de chansons qu’il entretiendra. Il y puisera au fur et à mesure des disques à enregistrer, sans jamais être pressé d’en terminer une pour boucler un album comme c’est souvent le cas pour beaucoup de chanteurs.
De retour à Paris donc, après quinze jours de permission légale, il décide d’y rester dans l’illégalité cette fois. Sa tante Antoinette décide alors de le cacher chez son amie la couturière Jeanne Le Bonniec, au 7 de l’impasse Florimond (avec un d) qui est devenue aujourd’hui Florimont (avec un t).
Georges retrouve ses habitudes parisiennes, la lecture, l’écriture, les filles et les bistrots. Il restera dans cette maison plus de vingt ans, jusqu’en 1965. Une maison sans confort mais où brûle le feu de la tendresse et de l’amitié.
Marcel Planche, le mari de Jeanne est « l’Auvergnat » et Jeanne est celle de ses chansons ( « La cane de Jeanne », « Chez Jeanne »).
La boulimie de lecture se poursuit. Georges Brassens écume la bibliothèque du quatorzième arrondissement et achète des bouquins sur les quais. Il lit surtout les poètes en annotant les livres (date d’achat, de lecture…) étudiant la langue, affinant sa technique d’écriture. Il est maintenant plus exigeant avec lui-même «J’ai été incapable de continuer à écrire sur mes musiques des paroles aussi mièvres que celles que j’écrivais » dira-t-il plus tard.
De cette époque, datent « La chasse aux papillons », « Le gorille », « La mauvaise réputation ». Il se plaît aussi à mettre des musiques sur les vers des poètes qu’il admire ( « Le petit cheval », « La ballade des dames du temps jadis »).
Il faut se rappeler que ces chansons sont composées au banjo car il ne dispose pas du piano de la tante Antoinette (il en héritera après sa mort en 1946). Il achète, en décembre 1945, une guitare d’occasion. Le banjo et la guitare ne permettent pas une recherche musicale très élaborée et les mélodies simples de l’époque résultent de l’utilisation de ces instruments. L’exemple de « Une jolie fleur » est significatif. Cette démarche sera complètement bouleversée quand il utilisera régulièrement le piano puis l’orgue électronique qui donnent une rythmique et un semblant d’orchestration, avant de transposer les mélodies pour la guitare.
La progression dans la difficulté qui en résulte au fil du temps constitue « une véritable démarche pédagogique pour ceux qui apprennent la guitare » comme l’a dit Maxime Le Forestier. Il suffit de suivre l’ordre chronologique des compositions de Brassens.
Georges travaille particulièrement l’harmonie paroles-musiques, très marquée dès les premières compositions. N’oublions pas les premiers goûts de Georges Brassens (Scotto, Ray Ventura) qui expliquent le rythme musical cadrant parfaitement avec le rythme de l’écriture (ex. de la musique à 6/8 qui cadre parfaitement avec le rythme des alexandrins). N’oublions pas non plus le goût des chants populaires, les contacts avec les gens simples, la lecture des plus grands poètes.
Tout cela aboutit à la rencontre de la chanson et de la poésie. Il faut voir que cette démarche, de nos jours entrée dans les mœurs (et institutionnalisée par le couple Kosma-Prévert), est à l’époque un peu provocatrice et révolutionnaire. Il faut lire les critiques après « La chanson d’Automne » que Trénet met en musique sur les paroles de Verlaine. Il a fallu aussi un sacré culot à Georges Brassens pour mettre en musique Paul Fort ou François Villon, alors qu’il n’a encore aucune notoriété.
Régulièrement dans sa carrière, il va reprendre cette habitude en s’attaquant plus tard à Hugo («La légende de la nonne», « Gastibelza ») Corneille ( « Marquise ») et Verlaine ( « Colombine »), plaidant pour le droit de tous à la poésie, la jetant dans la rue en direction de toutes les oreilles et la sortant des milieux intellectuels où elle restait enfermée.
Nous retrouvons Georges Brassens en 1945. La guerre est terminée. Les amis dispersés par les événements vont se retrouver.
Au cours d’un voyage à Sète, Georges Brassens retrouve d’abord Victor Laville, devenu journaliste.
A Paris, il retrouve aussi Pierre Onteniente et ceux de Basdorf. Pierre et lui prennent l’habitude de se revoir. Pierre habite Pigalle, il a repris son travail de contrôleur du trésor. Georges Brassens se rend souvent chez lui et Pierre se rend compte qu’il est sans le sou. Il est vrai qu’il n’a pas de gagne-pain : il écrit des chansons et lit. Il vit sur les amis qui l’aident à survivre (outre Onteniente il y a aussi André Larrue, les copains de Basdorf, Loulou Bestiou, Victor Laville, les copains sétois).
S’il est un pique-assiette pendant des années, Georges Brassens saura bien rendre à ses amis la monnaie de leur pièce.
A côté des amis, il y a les filles. Georges Brassens est toujours resté discret sur ses amours. Les Ninon, les Suzette ont sans doute été des muses qui l’ont inspiré. On les retrouve dans ses chansons qui évoquent cette époque des amours d’antan. Il y a aussi celles qui laissent des souvenirs plus cuisants que l’on retrouvent dans « Le mauvais sujet repenti » commencé à Basdorf et qui trouve sa forme définitive grâce à la petite Jo, une petite amie un peu frivole et qui nous vaut ces vers savoureux :
Un soir à la suite de Manœuvres douteuses Elle tomba victime d’une Maladie honteuse
Lors en tout bien, toute amitié
En fille probe
Elle me passa la moitié
De ses microbes.
Après des injections aiguës D’antiseptiques J’abandonnais le métier De cocu systématique…
C’est la petite Jo qui a inspiré aussi Georges Brassens pour « Putain de toi ».
« Une jolie fleur » a été dédiée, selon ses dires, à Nadine, une jeune présentatrice de l’Olympia qui deviendra plus tard Nadine de Rothschild …….
Mais c’est aussi à cette époque qu’il rencontre Joha Heiman venue de son Estonie natale qui sera d’abord baptisée « Blonde chenille ». Pas plus que les autres filles elle ne mettra les pieds impasse Florimont car Jeanne est accueillante, certes, mais jalouse. Elle accueille plutôt les copains que les copines. C’est Victor Laville et Pierre Onteniente qui accueillent de façon clandestine leurs amours débutantes.
Clandestine, leur liaison le restera pendant plus de trente ans, car c’est avec elle que Georges va vivre « une vie commune séparée », chacun chez soi mais toujours ensemble. Leur liaison ne fera jamais les titres d’Ici-Paris et rarement on apercevra le visage de cette amie fidèle « Pùppchen » (c’est son deuxième surnom), la petite poupée en allemand, une des langues de Joha. C’est pour elle qu’il écrit «J’ai rendez-vous avec vous », «Je m’suis fait tout p’tit », « Saturne » et surtout « La non-demande en mariage » qui est comme un monument à cet amour sans entraves.
Nous sommes à la fin des années 40, impasse Florimont, dans cette maison exiguë et inconfortable, sans eau, sans électricité, mais qui pour Georges Brassens est un véritable cocon, un lieu protégé. C’est là qu’il va écrire des dizaines de chansons distillées ensuite au fil des disques, là qu’il va lire des centaines de livres, qu’il va se réfugier dans l’amitié tout au long de ces années de vache maigre.
En cette fin des années 40, Georges Brassens va également participer au mouvement des anarchistes et entrer au journal « Le libertaire » dans lequel il écrira quelques chroniques sous les pseudonymes de Gilles Corbeau, Pépin Cadavre et Jo La Cédille.
On devine que ces chroniques ne ménagent ni l’église, ni la police, ni la guerre, ce qui ne nous étonne pas ; le P.C. et les staliniens en prennent aussi pour leur grade. Toutes ces cibles se retrouvent dans ses chansons sous des formes qui sans perdre leur force prennent une forme poétique beaucoup plus profonde que la prose acide des chroniques du « Libertaire » :
« C’est difficile à expliquer, l’anarchie. Les anarchistes eux-mêmes ont du mal à l’expliquer. Quand j’étais au mouvement anarchiste —j’y suis resté deux ou trois ans, je faisais le Libertaire en 45-46-47, et je n’ai jamais rompu avec, mais enfin je ne milite plus comme avant —, chacun avait de l’anarchie une idée tout à fait personnelle. C’est d’ailleurs ce qui est exaltant, c’est qu’il n’y a pas de dogme. C’est une morale, une façon de concevoir la vie, je crois, et qui accorde une priorité à l’individu».
Il publie également en 1947, à compte d’auteur, « La lune écoute aux portes », pamphlet virulent initialement nommé « Lalie Kakamou » et qui n’aura pas grande audience.
Mais comment Georges Brassens en vint-il à chanter ?
Dans les années 40, les vedettes de l’époque se produisent à « L’A.B.C », « Bobino », « l’Etoile »… Il y a Chevalier, Trenet, Montand, Edith Piaf, André Dassary, André Claveau, Lucienne Delille, Fernand Sardou, Line Renaud, Georges Guétary, Roche et Aznavour.
Un matin de janvier 51, Georges Brassens vient attendre deux amis sétois à la gare de Lyon. Sur le quai, il rencontre Victor Laville devenu journaliste à Paris Match et perdu de vue depuis quelques semaines. L’un des deux amis communs qu’ils attendent est Henri Delpont qui rêve toujours de faire du cinéma. Après ces retrouvailles avec Laville, les habitudes sont rapidement prises de se revoir maintenant régulièrement et Victor va prendre un rôle important dans les débuts de Georges Brassens. Tous les amis à qui il chante ses chansons ne doutent pas de son talent mais « le gros » qui n’envisage jamais autre chose que de se consacrer à la musique et à la poésie, reste timide et peu agressif pour entrer dans le monde du spectacle. Un jour, pense-t-il, quelqu’un lui prendra ses chansons, mais s’il en est persuadé, il ne fait rien pour cela : vivre et laisser venir, telle semble être sa devise.
Nous l’avons dit, les vedettes occupent les grandes scènes. Restent les cabarets. Il y a « L’écluse », « L’échelle de Jacob », « Le tabou », « La rosé rouge » sur la rive gauche, et sur la rive droite « Le Boeuf sur le toit », « Milord l’Arsouille »… On y voit Léo Ferré, Cora Vaucaire, Boris Vian, Juliette Gréco, Francis Lemarque…
D’autres lieux apparaissent, en particulier « Les 3 baudets » créé en 1947 par Jacques Canetti. Depuis sa création, on y entend Henri Salvador, Jean-Roger Caussimon, Francis Blanche, Jacqueline François, puis en 1949, Pierre Dac, Darry Cowl, Raymond Devos et Félix Leclerc.
C’est là que débuteront aussi Mouloudji et Fernand Raynaud.
Il y a aussi, place du Tertre, un cabaret restaurant ouvert en 1948 par Henriette Ragon plus connue sous le nom de Patachou.
Un jour de 1951, un ami fleuriste rencontré à la fédération anarchiste, parle de Georges à l’un des ses clients qui commence à être connu dans le métier du cabaret ; il s’appelle Jacques Grello. Rendez-vous est pris chez Grello qui écoute quelques chansons de Georges. Il est séduit et lui fait don d’une guitare neuve dont il ne saitjouer. Il traîne Georges Brassens dans tous les cabarets de la ville. Chaque soir, il chante, en transpirant, quelques chansons, essayant de trouver un interprète et entraînant avec lui son ami Onteniente :
«J’ai chanté, ça a marché comme prévu, c’est-à-dire couci-couça. J’avais le trac et Grello, dans la salle, aussi. Il me manquait la flamme. Grello pense que ça ne viendra pas avant cinq ou six séances. Léo Noël (patron de la boîte) a annoncé qu’un filleul de Grello allait chanter. J’étais à ma table — cabaret chantant — en compagnie de mon «parrain» et d’autres. Après l’indicatif, Grello m’a dit : « vas-y ». Et le calvaire a commencé. J’ai chanté trois trucs, voilà. On m’a applaudi, sans plus. On n ‘a pas goûté vraiment mes trucs, car l’allant était de sortie. Mais ne t’en fais pas, on s’y attendait. Tout le monde en passe par là. » . ;
Pendant quelques mois, Georges Brassens galère dans ces cabarets, devant des touristes qui écoutent à peine cet artiste qui n’a aucun jeu de scène. Il est pourtant mort de trac et transpire à grosses gouttes. C’est son ami Laville qui va provoquer, par l’intermédiaire d’un collègue journaliste, la rencontre avec Patachou pour tenter de la convaincre d’interpréter les chansons de Georges Brassens.
Nous sommes le 24 janvier 1952, selon les notes recueillies dans son journal intime par Roger Comte qui se trouve ce soir-là chez Patachou. Il note le passage de ce « Brassins » après le spectacle. Le contrebassiste de la maison prend son instrument pour 1 ‘ accompagner. Il s’appelle Pierre Nicolas. Georges Brassens interprète entre autres « La mauvaise réputation » puis « La chasse aux papillons », « Le bricoleur », « Le petit cheval » « Le gorille », « Hécatombe ». Patachou est enthousiasmée et elle décide de faire son choix dans ce que Georges Brassens vient de lui faire écouter. C’est elle qui va chanter, en premier, « Brave Margot », et « Les bancs publics ». Mais elle pense surtout que c’est Georges qui doit lui-même interpréter ses chansons :
Elle m’a dit : « écoute, Georges, des chansons comme « Le Gorille, La mauvaise réputation, Corne d’Aurochs, le Fossoyeur », ce ne sont pas des chansons pour moi, c ‘est toi qui va les chanter après le spectacle ».
Et le 8 mars, c’est le jour de ses vrais débuts. Patachou le présente au public :
«Je vous ai chanté La prière, les Bancs Publics. Je vous ai dit que c’était d’un nommé Georges. Il ne sait pas tellement bien chanter, il ne sait pas tellement bien jouer de la guitare, il ne sait pas tellement bien se tenir en scène, visiblement il n ‘aime pas ça, mais si vous voulez passer un moment agréable, restez ».
Il reçoit ce soir-là son premier cachet. C’est Pierre Onteniente qui touche le chèque (Désormais, c’est lui qui s’occupera de gérer l’argent de Georges).
Quelques temps plus tard, Jacques Canetti passe la soirée chez Patachou. Il est emballé lui aussi, en écoutant Georges Brassens. Il décide de mettre sur pied une campagne de lancement, et la sortie d’un disque 78 tours d’abord, puis deux, puis trois. C’est alors le succès, les disques se vendent très bien. Le 13 septembre Georges Brassens débute « Aux 3 baudets ». La critique remarque « ce grand lourdaud timide aux textes percutants ».
Désormais, la route du succès est ouverte… Les années de galère touchent à leur fin !
On le verra maintenant sur les grandes scènes parisiennes, l’Olympia et Bobino, scène qu’il préférera et où il fera toutes ses rentrées par la suite. En 1954, il reçoit le grand prix du disque de l’Académie Charles Gros pour son premier album. Cette même année, il publie « Les Amoureux qui écrivent sur l’eau », mais ce recueil ne connaît aucun succès. Il en sera de même pour « La Tour des miracles », et le succès du chanteur fait passer totalement sous silence ses tentatives littéraires.
Georges Brassens commence à gagner beaucoup d’argent et il propose à son compagnon Pierre Onteniente de quitter son travail pour s’occuper de ses affaires. Le fidèle Gibraltar est désormais l’imprésario, l’ami, l’homme de confiance. Il le restera jusqu’au bout. Il se rapproche de l’impasse Florimont où Georges habite toujours. Georges achète cette maison qu’il agrandit grâce à l’acquisition de la maison mitoyenne.
Les tournées se succèdent, Georges Brassens travaille beaucoup.
C’est à Bruxelles que Josée Stroobants le photographie pour la première fois en 1954 à l’Ancienne Belgique, puis au Théâtre des Beaux Arts dans les années 60. En 1972, elle vient s’installer à Paris et devient désormais la photographe attitrée de Brassens, qui lui confie la garde de toutes ses photos.
Maintenant la carrière de Georges se déroule sans problème, hormis des crises de coliques néphrétiques qui lui empoisonnent la vie.
Et Brassens devient un mythe, ce personnage un peu secret, symbolisé par la pipe, la guitare et la moustache.
Et voilà notre médiocre élève du lycée de Sète, garnement chapardeur à 17 ans, presque clochard après son retour d’Allemagne, devenu un Grand maître de la chanson grâce à un travail quotidien et acharné. Travail sur les textes qui sont longuement peaufinés. Travail sur les musiques avec des harmonies de plus en plus recherchées. Le jeu de scène, en revanche, reste dépouillé. Georges se présente toujours avec sa guitare accompagné par une seule contrebasse. La gestuelle est pauvre. Il n’y a aucune mise en scène, ni aucune esthétisation. C’est sans doute pour cela que la musique est souvent qualifiée de monotone par ceux qui n’entendent pas la richesse des accords, et que Fallet appelle les « oreilles de lavabo ».
En réalité Georges Brassens compose sur son clavier et transpose ses musiques pour la guitare et la contrebasse, avec son ami Pierre Nicolas. Cette habitude l’oblige à mieux jouer de la guitare, en cherchant à recréer sur cet instrument, la richesse et la finesse de ses compositions sur le piano électronique. Il devra aussi améliorer sa technique à l’occasion de l’édition de ses chansons. Il se fait aider d’un spécialiste, René Duchossois. Il apprend à faire les transcriptions, à plaquer de nouveaux accords. Mais la richesse croissante des mélodies n’altère pas la simplicité de l’interprétation.
Ce choix de la simplicité est délibéré. Georges Brassens est le seul à avoir exporté sur les grandes scènes la technique du cabaret sans ajouter des violons et des cuivres. Ce choix colle au personnage qui ne sera jamais vraiment à l’aise sur scène. Il est aussi l’expression d’un style dépouillé qui permet avant tout de mettre en valeur les mots et les notes.
Mais dépouillé ne veut pas dire pauvre. Il y a dans les musiques de Brassens un trésor de rythmes et de swing. L’interprétation en jazz des musiques de Brassens en révèle la variété et la richesse. Il était très heureux d’avoir pu participer à ces enregistrements.
Brassens a eu l’idée géniale de ne pas ajouter des fioritures et une orchestration de l’époque qui, de nos jours, parait démodée et donne aux interprétations de ces années-là, un air un peu vieillot. Tous les effets rythmiques sont pourtant là, présents dans les mélodies, offertes à qui sait les découvrir. De nombreux interprètes actuels de Brassens ont tenté de le faire, avec plus ou moins de bonheur. Yves Uzureau a réussi à « revisiter » les chansons de Brassens, sans jamais trahir l’esprit du Maître. Il a su dénicher dans ses musiques, non sans malice d’ailleurs, mille merveilles de rythme et d’humour. Ses reprises sont toujours du meilleur goût, et après avoir entendu les interprétations de Yves, on écoute avec encore plus de plaisir celles de Georges.
« Brassens, poète érudit »
On l’a dit souvent grossier, il est parfois trivial ou paillard. Georges Brassens aime écrire des chansons amusantes, sans autre prétention que de divertir un moment son public. C’est le cas de « Fernande » par exemple dont le ton ressemble à une chanson de corps de garde. Le « gros mot » est toujours associé à une image comique, ne devenant jamais vulgaire. Georges Brassens aime jouer avec les mots, avec les sons. Dans « Le temps ne fait rien à l’affaire », le phonème con est répété plusieurs fois et mis en avant par la musique, accentuant l’évidence des propos :
Qu’on ait 20 ans, Qu’on soit grand-père, Quand on est con, on est con.
L’utilisation des sons vient renforcer celui des mots, car dans toutes les langues, les sons prennent du sens et l’auditeur, même s’il n’en est pas nécessairement conscient, ne peut que percevoir ce rapprochement qui participe à la construction globale de la chanson.
Les gros mots ne se résument d’ailleurs pas, à con, cul, fesse et même si Georges Brassens aime bien faire rimer fesse et confesse, il nous ressort de derrière les fagots des mots archaïques issus du vieux français : cul-terreux, colin-tampon, croquignole, pandore, Jean Foutre, donzelle, popotins, balourds, fesse-mathieu, paltoquet, foutriquet, pimbêche, guibolles, pécore, cognes et guignols. Evidemment, tout cela relève(plus de ce que l’on appelle le langage populaire ou familier que de la grossièreté ou de la vulgarité.
En tout cas, il n’est pas certain que ce soit le vocabulaire de Georges Brassens qui ait valu à plusieurs de ses chansons d’être interdites sur les ondes. Sans connaître les motivations de dame censure, il est probable que ce soit le contenu jugé subversif de ses textes qui s’attaquent à la justice ( « Le gorille »} à la police ( « Hécatombe ») qui ait été visé. On comprend moins bien l’interdiction qui a frappé des chansons comme « La mauvaise réputation », « Le fossoyeur », « Marinette » et même « La Marine ». Il faut dire que sans être subversives ces chansons sont bien différentes des textes bon chic bon genre qui ont cours à l’époque.
Mais s’il reste un Brassens « pas pour toutes les oreilles », il reste aussi un Brassens tendre et un recueil de chansons pour enfants peut être tiré de son répertoire.
Lire et écouter Brassens est aussi une bonne manière d’apprendre le vocabulaire en découvrant la langue française.
Découvrir le vieux français à travers François Villon, que quelques cours austères de Français en 5e n’ont pas su faire aimer.
Connaître des personnages de l’histoire, Hippocrate, Gallien, les gens de Sodome et Gomorrhe, Montaigne et La Boétie…
Apprendre aussi, et de quellejolie manière, que Benjamin Franklin est l’inventeur du paratonnerre en écoutant sa chanson « L’orage ».
Je vivais à l’écart…
S’il continue d’habiter jusqu’en 1965 l’impasse Florimont, Georges cherche, à partir de 1958, un lieu plus vaste pour accueillir ses amis. Il va acheter à Crespières dans les Yvelines une grande maison, un moulin, qui sera le grand rendez-vous de nombreux copains. On y voit René Fallet, André Vers, Jean Bertola, Eric Battista, Francis Chatel, Fred Mella, Lino Ventura, Aznavour, Marcel Amont et toujours les fidèles Victor Laville, Loulou Bestiou, Onteniente et «Pûppchen» bien sûr.
Après le remariage de Jeanne en 1966, Georges Brassens quitte l’impasse Florimont pour s’installer dans un grand duplex au Méridien. Il est le voisin de Peynet et de Jacques Brel avec qui il liera une nouvelle amitié. C’est d’ailleurs Jacques Brel qui le conduit à l’hôpital quand, en 1967, il est en proie à de nouvelles crises de coliques néphrétiques.
C’est grâce à cette installation au Méridien que le guitariste Joël Favreau va rencontrer Georges Brassens par l’intermédiaire de Colette Chevrot, une chanteuse qu’il accompagne et qui passe alors en première partie du spectacle de Georges. Les deux hommes partagent le même amour de la guitare. Georges Brassens va sortir son neuvième disque avec Pierre Nicolas.
Joël Favreau ne fait pas encore partie de l’enregistrement, mais par la suite, il participera à tous les disques. Ce neuvième disque est une excellente cuvée car il contient « Le pluriel », « Le bulletin de santé », « La non-demande en mariage », « La supplique pour être enterré à la plage de Sète ». Il est enregistré en juillet 1966 dans la cuisine du Méridien, à cause d’une grève au studio d’enregistrement. Il s’agit, à l‘origine, d’une bande de travail, mais le résultat est tel qu’on décide de garder la prise pour sortir le 33 tours.
Après la mort de Jeanne le 24 octobre 1968, Georges Brassens va s’installer au 42, de la rue Santos-Dumont dans le quinzième. Il en partira quelques jours avant la fin de sa vie, pour venir mourir dans son pays sétois natal. Dans cette maison de la rue Santos-Dumont, il fait creuser une cave pour pouvoir jouer sur son clavier électronique sans déranger les voisins. Mais cet endroit s’avère inutilisable car toujours humide, et il préfère jouer sur son orgue électronique dans son petit séjour.
Brassens honoré :
Nous l’avons dit, il reçoit en 1954 le prix de l’Académie Charles Gros. En 1963, il entre dans la fameuse collection « Poètes d’aujourd’hui » qui devient ensuite « Poésie et chansons », dont on peut regretter qu’elle ne fasse aucune place à la musique.
En juin 1967, c’est l’Académie Française qui lui décerne le Grand Prix de la Poésie. Le bruit court alors que Georges Brassens pourrait être candidat à l’Académie. Mais il dément lui-même cette rumeur, peut-être par modestie, ou peut être parce qu’il ne se serait pas senti à l’aise parmi ces messieurs.
C’est vrai que l’on a du mal à l’imaginer en costume d’académicien…
En revanche, il entre dans le Petit Earousse en 1967, année de tous les honneurs.
Brassens au quotidien
II se lève tôt le matin, vers 5 heures et passe son temps à lire, à écrire, à composer. Il joue sur son orgue, cherchant des mélodies et des accords. Iljoue aussi les chansons des autres à partir des petits formats qu’il continue d’acheter régulièrement car il aime aussi la musique dite de variété et ses amis l’entendent souvent fredonner les succès de Claude François.
Quand on lui demande s’il écrit d’abord la musique ou les textes des chansons, il répond : « ça dépend ». On sait que certaines musiques ont précédé les textes qu’il a ensuite ajoutés. On sait que parfois, ce sont les textes qui ont été écrits en premier.
Ces textes sont mis longtemps en chantier. Georges Brassens écrit sur des cahiers d’écolier, d’une belle écriture ronde. Il les recopie souvent, change ici et là un vers, une rime, jusqu’à trouver le bon mot qui vient sur la bonne note.
« Pour mettre des paroles sur une musique, et pour trouver une musique, il faut tout de même une espèce de don. Même si on écrit des conneries, et dieu sait si on ne s’en prive pas, il faut quand même le don de mettre les trois mots qu’il faut, les trois syllabes qu’il faut, sur les trois notes qu’il faut. Je ne peux pas l’expliquer mieux que ça. On peut être nul, à peu près analphabète, mais avoir le don de mettre les trois ou quatre ou cinq syllabes qu’il faut sur les cinq ou six bonnes notes, et ça c’est tout un art ».
Ceci montre bien le désir de Georges Brassens d’écrire des chansons et non des poèmes. Un bon exemple est donné par la non-demande en mariage.
Le refrain est composé de deux alexandrins :
J’ai l’honneur de ne pas te demander ta main Ne gravons pas nos noms au bas d’un parchemin
Mais ces vers sont en réalité cassés dans le texte de la chanson en segments de 4 pieds… et la musique vient appuyer cette cassure qui met en exergue de nouvelles rimes internes :
J’ai l’honneur de ne pas te de mander ta main ne gravons pas nos noms au bas d’un parchemin
Ces textes sont taillés dans la langue française, ciselés sans cesse et l’avance de textes mis en chantier lui permet de revenir souvent sur les chansons. Il pouvait ainsi attendre de six mois à six ans. Par exemple, « La chasse aux papillons » sera successivement :
— Un joli jeune homme à la fleur de l’âge,
— Un bon petit garçon… .
— Un bon petit diable…
En regardant ses cahiers, on peut voir ainsi, au fil des mois, se construire la chanson et le résultat final apparaît toujours comme le meilleur.
Il compose, joue et écrit ainsi en général toute la matinée.
Le repas du midi est vite expédié, puis il travaille avec son ami Onteniente (préparation des galas, des tournées et des disques).
En fin de journée, il est bien rare que quelques amis ne passent pas à la maison pour boire un coup, discuter et rigoler.
Dans la bande à Brassens, il y a maintenant les trois familles :
- les Sétois du début avec V. Laville, Loulou Bestiou, Vedel le cuisinier puis E. Battista ;
- les « allemands » anciens de Basdorf : René Iskin, Pierre Onteniente, André Larue ;
- la famille parisienne, essentiellement issue du milieu de la chanson et de la littérature ou du cinéma (Lino Ventura, Raymond Devos)
C’est souvent chez Vedel, ce jeune sétois, ancien élève de Raymond Oliver qui a ouvert un restaurant au bout de la rue Santos-Dumont, que la bande se retrouve pour dîner, entre hommes. La cuisine est de qualité mais, il faut bien le dire, Georges Brassens n’est pas très gastronome et préfère la quantité à la qualité.
C’est au milieu de ses amis que sa timidité s’efface, qu’il se laisse aller à parler facilement.
Georges Brassens aime sa ville, il aime évoquer ses souvenirs de jeunesse avec sa famille. Il se promène dans les rues, le long de la corniche ( « où le sable est si fin »}, sur le Mont Saint-Clair. Il aime revenir sur l’étang de Thau. Il va à la pêche avec son bateau. Il cherche à acheter une maison à Bouzigues mais, dans les années 60, c’est sur les quais du canal de Sète, qu’il va s’installer pour les vacances.
Il aime aussi se rendre en Bretagne qu’il découvre en 56/57. Il y loue d’abord une maison à Loguivy tout en continuant à se rendre plus régulièrement à Crespières où ses amis peuvent venir plus facilement. Mais au début des années 70, on projette de construire aux alentours un millier de pavillons. Craignant de perdre sa tranquillité, il vend Crespières et saisit l’occasion qui se présente à Lézardrieux d’acheter une maison au bord de la mer. Il partage désormais ses séjours estivaux entre la Bretagne et le pays sétois tandis qu’à Paris il demeure maintenant rue Santos-Dumont.
Les tournées sont nombreuses, les disques sortent régulièrement tous les ans pendant une dizaine d’années, puis les cuvées se font plus rares. Georges Brassens, au cours de ses matinées laborieuses, compose sur son clavier électronique. Les musiques viennent assez vite dans leur version finale mais les textes sont repris pendant des semaines et des mois, écrits et réécrits sur ses cahiers d’écolier. Cette recherche de la perfection de l’accord des mots et des notes, il nous l’explique lui même au cours d’une « radioscopie » :
« II me faut du temps pour mettre de l’ordre dans mes idées, pour écrire mes chansons. Si je ne passe pas plus souvent en public, ce n’est pas uniquement par politique, pour me faire rare, c’est parce que je ne suis pas capable d’écrire douze chansons par an qui me plaisent et qui plaisent à mon public.
Je trouve trois vers qui me plaisent, il m’en faut quatre parce qu ‘on ne peut pas faire ce qu’on veut avec la musique, on est obligé défaire des choses à peu près carrées (…). J’ai trouvé trois vers, il m’en faut un quatrième, il me le faut absolument, je ne trouve rien, alors pendant trois, quatre, cinq, six jours je ne trouve rien, ça m’est arrivé pour La Supplique, pendant très longtemps j’avais fini cette chanson mais je ne l’avais pas commencée, je n’avais pas trouvé l’introduction, l’entrée en matière, la première strophe ni la dernière, et pendant quatre ans elle est restée dans mes cahiers, je l’ai négligée au profit d’autres chansons ».
Dans la fin des années 60 donc, les disques commencent à se faire plus rares et les récitals moins fréquents.
En octobre 1972, il s’installe pour trois mois à Bobino alors que sort son onzième 33 tours. Puis c’est une tournée de cent jours qui sera la dernière. En 1973, il va chanter à l’Université de Cardiff.
D’octobre 1976 à mars 1977, il est à Bobino. Ce récital sera sa dernière apparition sur scène.
Brassens poursuit sa vie de la rue Santos-Dumont, à Lézardrieux ou à Sète. Il continue à composer, mais les prestations en public se font plus rares. Quelques télévisions dans « Le Grand Echiquier » surtout et en 1979 dans une émission qui lui est consacrée de Jean Christophe Averty, il chante dix-neuf chansons. En 1979, il enregistre douze de ses titres avec Moustache et une pléiade de musiciens de jazz. Il ne chante pas mais joue de la guitare avec un plaisir évident. Le résultat est surprenant pour les « malentendants » qui n’avaient pas su percevoir dans ses chansons toute leur richesse mélodique et rythmique.
Il chantera encore, en 1980, vingt-sept chansons de sa jeunesse, celles qu’il a aimées, pour une émission de RMC. Le disque sortira en 1982. On perçoit dans ces interprétations, son goût pour les chansons à swing ( « Boum », « Le petit chemin », « Quand un vicomte », « Une partie de pétanque »…) On y retrouve, comme s’il avait voulu laisser le souvenir de ses goûts hétéroclites, tout l’environnement musical de son adolescence.
A la fin des années 70 les premiers symptômes de sa maladie apparaissent. Il se plaint de quelques douleurs au ventre mais il y est habitué avec ses crises de coliques néphrétiques. Il néglige les saignements et son indifférence va permettre au cancer de faire son chemin et d’installer ses métastases.
En septembre 1980, quand il accepte d’être hospitalisé, les médecins ne peuvent que constater le désastre. Il est opéré début 1981. Pendant quelques temps, il va mieux et pense enregistrer un nouveau disque. Il saisit l’occasion de se rendre à Sète pour enregistrer une émission de télévision. Tout se passe à peu près bien, il est bronzé, mais un peu amaigri. Il répond à une interview à un prêtre qui s’occupe d’une radio à Montpellier. L’interviewer, sans trop de finesse pose de nombreuses questions sur la mort. Georges Brassens répond de bon gré :
« ce qui est embêtant dans la mort, c’est de perdre les gens qu ‘on aime. Ma propre mort ne m’inquiète pas ».
Puis Georges Brassens retourne à sa convalescence. Tout laisse à penser qu’il n’a pas conscience d’être au bout du chemin. Il songe à faire une rentrée à Bobino cette année (nous sommes en 1981 ) ou l’année prochaine peut-être. Il passe quelques jours en Bretagne. En septembre, son amaigrissement saute aux yeux de ses amis. Lui-même se sent fatigué et il parle de partir se reposer à Saint-Gely-du-Fesc près de Sète chez son ami, le Dr Busquet. Il part donc avec un petit avion loué pour la circonstance, le voyage en voiture étant jugé trop pénible. Nous sommes fin octobre. Georges Brassens passe quelques jours au calme dans cette ambiance familiale, entouré d’affection et de rires d’enfants. Le 28, « Pûppchen » vient le voir « on était bien ensemble, dit-il, j’aurais bien voulu vivre encore un peu ».
Le 29, l’état de grande fatigue augmente et le soir de ce jeudi, peu avant minuit, il s’éteint avant que son ami Onteniente, qui a pris la route à la hâte, n’ait le temps d’arriver.
L’annonce n’est faite par la presse que le vendredi soir et dès le samedi matin, à la première heure, l’enterrement a lieu, comme il avait toujours vécu, discrètement, presque clandestinement.
Il laisse 197 chansons répertoriées dans « Brassens, poèmes et chansons »et de nombreux textes en cours de finition : « Pour Pierre Onteniente, En cas de mort subite, tu pourrais voir—si ça intéresse des compositeurs bien sûr — de faire mettre ça en musique (beaucoup sont déjà faites mais je n ‘ai pas eu le temps de les enregistrer).
Il faudrait peut-être consulter quelques amateurs de mes chansons (Bertola, Battista, Tabet, Bestiou) et leur demander si ça peut les brancher.
J’espère toutefois que ça n ‘arrivera pas.
Quant aux chanteurs qui voudraient bien chanter ça, je vous laisse à tous le soin d’en décider ».
Dans la petite valise qui le suivait partout, se trouve son cahier avec vingt-deux chansons et des cassettes sur lesquelles il a enregistré les mélodies. La question est de savoir si Georges Brassens considérait ces chansons comme terminées puisque l’on sait qu’il aimait revenir sans cesse sur son travail. Toujours est-il que c’est Jean Bertola qui enregistre les chansons sur un disque posthume. Un autre suivra avec des textes beaucoup moins bien travaillés dont on peut penser que Georges en aurait fait d’autres petits bijoux, si la camarde lui en avait laissé le temps.
Il serait aujourd’hui octogénaire, avec une belle chevelure blanche, toujours le même sourire complice et attachant. Le sort n’en a pas voulu ainsi.
Il demeure son souvenir et des chansons qui ne prennent pas une ride. Partout en France de nombreuses rues portent son nom. Des théâtres également. On apprend ses textes au lycée. Mais plus que cette reconnaissance un peu académique, ce sont les airs de ses chansons qui restent dans les têtes de ceux de sa génération mais aussi des plus jeunes.
Il faut espérer qu’elles vont vivre longtemps car le plus bel hommage qu’on puisse lui faire est de chanter ses chansons.
Les techniques audiovisuelles modernes gardent bien sûr l’image inoubliable de leur créateur.
Peut-être continuera-t-on à fredonner ses chansons dans les rues ou dans les soirées entre amis en s’accompagnant sur des guitares sèches. Dans le futur, peut-être, une nouvelle mode le remettra au goût du jour grâce à des interprètes qui sauront encore mettre en valeur le trésor que représentent ses chansons.
Dans un futur plus lointain, le nom même de Georges Brassens sera-t-il oublié du grand public et dira-t-on simplement en parlant de ses chansons « chansons populaires du milieu du XXe siècle ».
Ce serait sans doute un bel hommage rendu à ce poète qui a puisé dans les racines de notre culture, toute la richesse de son œuvre et qui désormais appartient à notre patrimoine poétique.
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Toute l’histoire racontée par Gérard DUROUX est issue d’un livret réalisé et édité par lui-même, préfacé par José STROOBANTS
la photographe de Georges BRASSENS ….
PREFACE
Après avoir lu et relu cet ouvrage, c’est un Brassens tel qu’il était que j’ai retrouvé. Sa vie, sa famille, ses amours, ses amis. Ceux d’une rencontre imprévue, ceux qui ont vécu avec lui le séjour en Allemagne pour le travail obligatoire et dont l’amitié créée par la guerre a duré jusqu’à la fin de sa vie.
Sa vie chez Jeanne aussi, à l’impasse Florimont où, « quand dans la vie il faisait faim, on donna quatre bouts de pain » .
Il y a sa compagne Pùppchen « la petite poupée », celle pour qui Georges écrit la non-demande en mariage mais dont l’amitié et l’amour dureront plus de trente ans.
Son travail acharné pour nous offrir ses plus belles et merveilleuses chansons qui restent à jamais dans nos têtes.
Pour tout cela, Gérard, merci ! J’ai retrouvé dans ces souvenirs la grande amitié que Georges m’avait donnée. Cette chance immense d’avoir fait partie de ses amis.
Je comprends le regret que tu as ressenti de n’avoir jamais pu le voir « dans ton objectif », (souvenir de cette dédicace que tu m’avais faite.)
Mais par cet ouvrage, je vois combien tu l’as dans la tête et dans le cœur, et combien tu le prouves !
Avec toute mon amitié.
Josée STROOBANTS
Les bénéfices tirés de la vente de ce livret sont versés
au profit des « Papillons Blancs du Bassin d’Arcachon »,
association reconnue d’utilité publique affiliée à l’UNAPEI
qui s’occupe de l’éducation et de l’insertion des enfants
et des adultes handicapés mentaux.
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Sachant que Gérard DUROUX n’est pas venu pour cette raison et qu’à GUJAN-MESTRAS ACCUEILLE il n’est pas fréquent de faire cette démarche, mais ceux d’entre vous qui le souhaiteront, pourront donner quelque chose au profit de cette Association « Papillons Blancs du Bassin d’Arcachon » lors de notre réunion de fin janvier.
Une urne se placée à cet effet.
Je vous en remercie par avance.
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Après avoir remercié Gérard comme il se doit, remercié que dis-je …. ovationné Gérard, nous avons donné quelques infos sur le fonctionnement de GMA, souhaité bonne anniversaire aux natifs de décembre, nous avons dégusté le buffet préparé et servi par la Commission Restauration.
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Au cours de ce repas nous avons entonnées quelques chansons de Georges BRASSENS. Pour visionnes des vidéos de ces bons moments, cliquez sur les liens ci-dessous :
Une superbe soirée qui c’est achevée assez tard pour un jeudi soir ……
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Même si c’est un peu tôt, je vous souhaite de passer de merveilleuses fêtes de Fin d’Année et de nous retrouver en pleine forme lors de notre réunion de Janvier.
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2 commentaires »
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Encore merci à toute l équipe pour cette soirée du 11 décembre très reussie et très agréable!
Bien cordialement à toutes et tous, bonnes fetes de fin d’ année ,
Henri et Marie.
Très belle soirée et beau reportage .Merci à tous